Simplifiez votre organisation pour redonner de la manoeuvrabilité

À la base, il s’agit d’une discussion de coachs autour des frameworks d’agilité à l’échelle et j’en conclus assez vite que l’on se pose souvent la mauvaise question. Avant de savoir comment passer à l’échelle, je préfère me demander comment ne pas le faire et de répondre à la question “Comment simplifier votre organisation ?”. Vous allez me répondre que simplifier une organisation n’est pas une fin en soi et vous avez raison.

Cela part d’un constat du terrain à savoir que les grandes organisations ont de l’inertie et qu’il est difficile de changer de direction. C’est pour cela qu’on peut les comparer à des paquebots. Cela veut dire qu’il est très difficile de réagir en cas de changement des conditions de marché et donc qu’elles sont difficilement capables de saisir certaines opportunités business. Je vais donc essayer de répondre à la question : “comment peut-on s’adapter plus vite ?” On pourrait aussi l’exprimer sous la forme : “quelle est la manoeuvrabilité de votre organisation ?”

Si je regarde au niveau d’une équipe, on ne voit pas nécessairement de problème. Les personnes font de leur mieux et quand on leur propose des nouveautés, il n’y a dans la majorité des cas pas de résistance au changement. C’est donc que le problème est ailleurs. Vous vous souvenez du laissez-passer A38 ? Et bien, vous avez un début de réponse. Il faut regarder dans quel système l’équipe est intégrée. Je parle de fixation d’objectifs, de budget, de gestion de projet…

Regardons comment cela se passe dans beaucoup d’organisations :

Cela commence l’été avec ses piques niques, sa plage et sa définition des projets qui seront inscrits dans le budget de l’année d’après. Ceux qui suivent auront noté que cela revient à demander de la visibilité à 18 mois. Une fois que l’on a déterminé les projets, il ne reste plus qu’à constater ce que cela signifie en termes d’effectifs nécessaires, équipe par équipe. Dans la dernière étape, celle de définition des objectifs individuels il n’y a plus qu’à reprendre les projets programmés. Et c’est le début des ennuis, car en travaillant ainsi nous avons lié objectifs, prévisionnel et allocation de ressources.

Voici une liste non-exhaustive des problèmes générés :

  • Il y a une fenêtre de tir par an pour décider des opportunités business et après cela se referme. C’est comme si les banques n’étaient ouvertes que l’été.
  • Comme on définit le budget d’une année en partant de celui de l’année d’avant, il faut consommer son budget calendaire quitte à faire tourner les camions à vide.
  • Le suivi budgétaire réalisé (écart entre consommé et prévisionnel) est un outil de contrôle des coûts. À aucun moment, on ne regarde si l’on a délivré de la valeur, on regarde si on a bien exécuté ce qui était planifié même si cela ne sert à rien. On est sur de la forme et non sur du fond.
  • En tant que manager, je suis objectivé sur mon consommé et la réalisation de mes projets. Que se passe-t-il si je me rends compte qu’un projet ne sert à rien ? Et bien, je suis fou si je lève la main. Non seulement, je ne vais pas tenir mes objectifs, mais je vais devoir en plus diminuer mon staff.
  • Dernier problème non-négligeable, le processus budgétaire étant tellement chronophage, c’est principalement un processus de type top-down. Les personnes en bas de la pyramide ne sont que très peu consultés. Il faut être très persévérant pour proposer des idées et cela nuit à l’engagement.

Maintenant que j’ai bien décrit ce qui les problèmes, je vais essayer de parler solutions. Tout d’abord, qu’est-ce que je cherche à faire :

  • Adapter mes business models aussi vite que possible
  • Allouer les ressources aux opportunités business les plus rentables
  • Améliorer la connaissance globale de l’organisation

Je vais décorréler objectifs, prévisionnel et allocation de ressources. Dans la pratique, je propose de passer dans processus budgétaire annuel à un processus budgétaire glissant.

Je définis des objectifs ambitieux relatifs. Ambitieux, car cela donne la vision d’où l’organisation veut aller. Une des façons de faire est de déterminer des objectifs pour l’organisation et laisser ensuite les employés définir ce que cela veut dire à leur niveau contrairement à de la cascade de l’indicateur. Il est aussi possible de le faire dans le sens inverse où les objectifs remontent du bas. Personnellement, j’ai le sentiment qu’il faut que cela soit dans les deux sens. Je définis des objectifs relatifs, car l’essentiel est de voir comment l’on performe par rapport à nos concurrents. Les objectifs absolus ne poussent pas à se dépasser.

Sur le prévisionnel, il est nécessaire qu’il soit le reflet de la réalité pour pouvoir prendre des décisions d’arbitrage et d’orientation. Quand le prévisionnel doit être égal à l’objectif, les humains ont beaucoup de ressources d’adaptation pour y arriver et ils y arrivent à base d’optimums locaux. C’est essentiellement une question d’état d’esprit à savoir est-ce que je vois ce que je veux voir ou est-ce que je veux savoir comment cela se passe vraiment. Un système vicieux est un système qui pousse à cacher de l’information et à ne pas demander d’aide. Il y a un lien entre objectif et prévisionnel, mais cela ne doit pas être une corrélation.

Je souhaite allouer mes meilleures ressources sur les meilleures opportunités et non pas celles de l’année d’avant avant… avant. Si un projet n’est pas rentable, je veux pouvoir l’arrêter. Et donc je n’alloue pas tout à l’avance, mais au fil de l’eau. Je trouve cela efficace d’allouer par bloc de 1 à 3 mois. Ce n’est pas trop court pour permettre la montée en compétences et la remontée de feed-backs. Ce n’est pas trop long et donc on limite la ‘perte’ à un trimestre maximum. Comme je n’ai pas alloué toutes mes ressources sur toute l’année, je peux aussi changer les priorités en cours de route en fonction des évènements.

Au niveau de l’organisation, il devient possible de changer l’orientation de l’organisation plus vite. Un des indicateurs que j’aime suivre est la capacité d’exécution priorisable lors des réunions de priorisation budgétaire par rapport à la capacité d’exécution globale. L’on souhaite passer de “tout est quasi verrouillé à l’avance” à “une fraction est verrouillée”.

Au niveau des êtres humains comme vous et moi, les conséquences sont les suivantes

  • Je passe d’une organisation orientée composant à une organisation orientée client / livraison de valeur. Cela frotte souvent dans les couches managériales avec de la perte d’influence.
  • Je donne des projets à des équipes stables. Je ne connais pas à l’avance toutes les opportunités business. Je dois donc avoir des équipes plus polyvalentes et donc passer plus de temps sur la formation.
  • Je passe d’une vision projet à une vision produit. Je me concentre sur les impacts et non sur les livrables. Cela peut être un changement culturel qui nécessite de développer de nouvelles compétences.
  • Avant j’optimisais, maintenant, je délivre de la valeur. Je passe d’un contrôle de variance à de l’identification de la valeur et des opportunités rares (cygnes noirs). J’ai besoin de moins de fonctions support et de managers dans le développement et non le contrôle.
  • Pour déterminer les objectifs individuels, c’était simple en prenant les objectifs des projets. Et bien maintenant, il faut réfléchir à la vision commune avec souvent des objectifs d’équipe.

Pour revenir à mon point de départ, une fois que j’ai fait tous ces changements, je peux me poser la question de savoir si j’ai besoin d’un framework d’agilité à l’échelle. En orientant l’organisation plus sur le client et la valeur délivrée, cela a pour effet de casser des dépendances structurelles. Dans la pratique, je suis en train de parler de Beyond Budgeting. Comme c’est un changement de mindset, Bjarte Bogsnes parle plus de voyage. Cela prend quelques années pour un implémentation complète des principes du Beyond Budgeting. Heureusement, les effets sont sensibles dès le début :-)

Source

Bon voyage

Samuel Retière

Développeur, maitrise d’ouvrage, chef de projet, manager, coach agile et maintenant … coach en organisation agile

It is not the strongest of the species that survives, nor the most intelligent that survives. It is the one that is most adaptable to change. (Darwin)