Dans notre précédent post, nous avons vu les analogies entre les tactiques militaires françaises et le développement produit dans le cas où l’on a l’initiative. Il reste maintenant à regarder l’autre côté du miroir : “Aux abris” sera donc l’occasion de parler défense.
Qu’est-ce que cela veut dire être en défense ? Pour les militaires, c’est simple : l’objet de la défensive est de reprendre une part d’initiative à l’assaillant, voire, d’inverser le rapport d’initiative. C’est intéressant tout ça. Je défends quand je réagis et j’attaque quand je mène la danse. Et Michel Yakovleff de rajouter : “On se figure mal combien ne pas avoir l’initiative est pénalisant. Ne pas savoir l’heure de l’attaque suppose que tout le monde est sur le pont tout le temps. Ne pas savoir le lieu de l’attaque impose au défenseur d’envisager de multiples hypothèses”. Nous venons de donner la vision de l’armée. Qu’est-ce que répond votre chef de produit adoré à la même question ? Nous ne serions pas surpris que la réponse soit proche.
Ne pas savoir les modalités de l’attaque retarde la mise en œuvre de mesures appropriées. À cet égard, la personnalité des antagonistes a un impact considérable. Un assaillant issu d’une école très doctrinaire sera plus lisible et donc plus prévisible. Dans le développement produit, cela ne vous rappelle pas des souvenirs ? Et bien à nous si, et voici des exemples :
Ce qui est intéressant, c’est plus la conclusion de tactique théorique que tout le raisonnement. Dans l’histoire, les cas d’inversion sont rares sur une bataille. Ce qui l’est beaucoup moins, c’est quand une défense victorieuse permet les conditions de victoire ailleurs. Tout est question de niveau de victoire. Il est aussi question de défense agressive à savoir que je reprends l’attaque dès que les conditions locales d’une défense me permettent de repartir ailleurs. Une défense passive est presque condamnée à l’échec.
Est-ce que nous trouvons cela pertinent dans le monde de l’entreprise ? Eh bien plutôt oui. Il n’y a qu’à voir le turn-over du fortune 500 des plus grosses capitalisations boursières pour se dire que le monde change et que ne faire que défendre revient à perdre.
On peut conceptualiser la défensive comme l’arrêt imposé à un mobile. Il y a ensuite deux grandes familles de tactiques pour arriver à cet état final à savoir l’absorption et la dispersion d’énergie.
Le mur : l’énergie est insuffisante pour briser l’obstacle. Le coup d’arrêt est l’action défensive la plus nettement orientée vers l’infliction de dégâts.
Lafarge, mastodonte de la cimenterie voit début 2013, la société Kercim à Montoir-de-Bretagne, commencer à produire du ciment en important le clinker. Leur objectif produire moins chère et plus près des consommateurs. Les 50 millions d’euros d’investissement pour faire une usine d’exception n’auront n’ont pas suffit pour briser le mur Lafarge, qui les rachètera finalement durant l’été 2014 pour plus de 80 millions d’euros.
Le sable : l’énergie est consommée par friction sur la longueur. C’est dans les combats les plus statiques que l’on trouve le plus de pertes, mais surtout que celles-ci sont les mieux partagées. Le freinage essaie de casser cette malédiction de la défense. Ce type de combat nécessite absolument un commandement subalterne doué d’un esprit d’initiative, acceptant le combat tous azimuts, du faible au fort, et capable de gérer l’interarmes, car les unités laissées dans la profondeur doivent être interarmes pour ne pas présenter de vulnérabilité irrattrapable.
Je suis une grosse entreprise qui voit des petits venir la concurrencer. Qu’est-ce que je peux faire pour ne pas me faire déborder ? Allez, venez start-ups, je vais vous donner des financements pour aller plus loin. Et une fois que je suis au capital, je bloque la dite start-up. C’est moche, mais efficace. On peut se demander si la fintech morning rentre dans cette catégorie.
Le punching-ball : l’énergie suffit à repousser l’obstacle. C’est un peu la tactique du gars qui fuit le combat, qui revient mettre un coup, qui fuit à nouveau, etc. Il s’agit d’affaiblir l’adversaire en se préservant, de ralentir sa progression et de gagner ainsi du délai. La défense mobile s’effectue sur plusieurs espaces de manœuvre. Il n’y a pas de défense mobile si je reviens taper tout le temps au même endroit.
Qu’est-ce que vous pensez des guerres juridiques à coup de bananes mises un peu partout sous les pieds ? Le but est bien de ralentir le concurrent pour avoir le temps de se dégager ailleurs. On reste dans la série efficace, mais pas nécessairement fair-play.
L’opposition d’une énergie à l’autre avec un angle. Cette tactique est assez simple : tu m’attaques à un endroit, je te déborde à un autre. Je ne subis pas en restant en infériorité. Je cherche un endroit où j’ai une supériorité locale, même si globalement, je suis en infériorité.
Canal plus contre BeIn Sport. Je me fais attaquer sur mes droits sportifs et donc plutôt que de lutter sur ce terrain, je vais voir Hollande pour faire pression sur l’émir du Qatar.
L’énergie est mal dosée par l’attaquant, car le défenseur profite d’une caractéristique du terrain. Par exemple, je profite de la contre-pente pour être à une distance de tir inférieure à la distance minimale de tir de l’ennemi. Je me mets dans un recoin du décor.
Comment faire pour apparaitre en haut des résultats google ? Je poste plein de liens partout sur mon concurrent, google détecte que mon concurrent fais du spam pour se rendre visible et il se retrouve déclassé. On est en plein dans le dark marketing. Ce n’est pas beau et je ne donne donc pas de noms.
L’énergie est consommée sporadiquement sans bénéfice cumulatif. Le harcèlement est une tactique de petites unités. En soi, le harcèlement n’apporte pas la victoire. Il crée les conditions pour l’affrontement décisif.
Sur ce sujet, l’analogie ne nous vient pas tout de suite. On pourrait parler des pirates qui reviennent encore et toujours avec de nouvelles idées et de nouveaux modes. Vous avez beau tuer un serveur, un autre réapparait. À voir si cela est un bon exemple. Vous nous direz :-)
L’énergie est consommée sur un espace vide. L’esquive du toréador est utile à un défenseur surclassé pour préserver ses moyens pour un combat ultérieur. Le coup consiste à se replier juste avant le combat en laissant une zone aussi désorganisée et polluée que possible. Cela perturbe le plan de l’assaillant et l’éloigne de ses soutiens.
C’est un peu ce qui est arrivé à Netflix en France. Habituellement, Netflix arrive dans un pays avec un catalogue assez faible pour ensuite l’améliorer au fur et à mesure que les clients viennent. En France, l’arrivée de Netflix a été très médiatisée par ses concurrents à base de concurrence déloyale. Cela a fait beaucoup de pubs à Netflix avec donc beaucoup d’abonnés dès le début quand le catalogue n’est pas encore étoffé. Cela a cassé le rythme de déploiement de Netflix. Sur ce cas, nous ne sommes pas sûrs que cette défense ait été préméditée.
L’énergie est consommée à un endroit non prévu sans objet pour le combat d’ensemble. Nous l’aimons bien celui-là avec son autre petit nom du bar ouvert. Il consiste à offrir à l’adversaire un objectif irrésistible mais non prévu. Un combat secondaire se transforme alors en combat principal.
Avant la grande messe de Steve Jobs qui allait dévoiler l’IPhone, des fuites avaient commencé à sortir. Plutôt que de les étouffer, Apple les a plutôt amplifiées, mais avec des fausses pistes sur un autre type de téléphone. Ses concurrents commencèrent donc à travailler sur une fausse piste.
Pour l’art de la guerre des Chinois, le trente sixième stratagème stratégique sur trente-six, c’est de prendre la fuite. À défaut d’obtenir quelque chose, on préserve la force pour l’avenir.
Avant de ne plus avoir de cash, je stoppe ou je pivote. Ça vous rappelle des souvenirs, c’est bien. Dans le langage militaire, il y a une distinction entre retraite (je vais revenir ailleurs) et sortie (je quitte le théâtre des opérations). Dans le développement produit, il s’agit de voir quand arrêter et quand pivoter. Nous citerions bien les google glass comme exemple.
En espérant que cet interlude guerrier vous aura diverti et peut-être sorti un peu du cadre. N’oubliez que tout est question d’initiative.
Sources:
Développeur, maitrise d’ouvrage, chef de projet, manager, coach agile et maintenant … coach en organisation agile
It is not the strongest of the species that survives, nor the most intelligent that survives. It is the one that is most adaptable to change. (Darwin)